La nécessité d'une base de données unifiée pour les travailleurs expatriés
La nécessité d'une base de données unifiée pour les travailleurs expatriés
Amman – 11 mai 2025
La divergence des chiffres relatifs aux travailleurs migrants en Jordanie reflète une crise profonde dans la gestion de ce dossier et révèle une défaillance institutionnelle qui a longtemps entravé la capacité de l'État à planifier et organiser efficacement le marché du travail.
Alors que les estimations annoncées varient entre 400 000 et 1,5 million de travailleurs migrants, l'absence d'un chiffre précis reste l'aspect le plus marquant et indique l'absence d'une référence nationale unifiée sur laquelle les politiques et décisions officielles peuvent s'appuyer.
Cette divergence ne peut être expliquée que dans le contexte de la multiplicité des organismes officiels traitant des travailleurs migrants et de l'absence de coordination réelle entre eux, ce qui a engendré un état de fragmentation et de duplication des informations et des décisions.
Les données relatives aux travailleurs non jordaniens sont dispersées entre plusieurs ministères et institutions tels que le ministère du Travail, le ministère de l'Intérieur, la direction de la sécurité publique, la caisse de sécurité sociale et le département des statistiques, entre autres.
Cependant, chaque entité gère ses données selon ses politiques internes sans mécanisme obligatoire de partage ou d’unification des données au sein d'une base centrale. Ces données sont souvent traitées comme une propriété exclusive de l'institution qui les détient, ce qui entrave toute tentative sérieuse de production d’un chiffre national précis et fiable.
Dans de telles conditions, il est impossible d’imaginer des politiques efficaces d’organisation du marché du travail, de programmes d’inspection ou d’assurance, voire même d’évaluation des besoins économiques nationaux en main-d’œuvre.
Des rapports internationaux, notamment celui de l’Organisation internationale du Travail (OIT) en 2022, ont confirmé que le manque de coordination institutionnelle et la multiplicité des bases de données indépendantes sont parmi les principaux obstacles à l’amélioration de la gouvernance de la migration de main-d’œuvre en Jordanie. Le rapport recommande la création d’une base de données nationale unifiée qui regroupe les données de toutes les parties concernées et permette des mises à jour systématiques et en temps réel, facilitant ainsi la prise de décision fondée sur des preuves.
Plusieurs pays, tels que Singapour et les Émirats arabes unis, ont réussi à établir des systèmes électroniques unifiés de données sur la main-d’œuvre migrante grâce à une interconnexion automatique entre les ministères concernés. Ces systèmes permettent de suivre le travailleur depuis son entrée jusqu’à la fin de sa relation contractuelle, ce qui les a aidés à atteindre des niveaux élevés d'organisation et de réactivité.
Le maintien de la situation actuelle en Jordanie a des effets négatifs directs sur la régulation du marché du travail. La disparité des chiffres ne reflète pas seulement un manque de clarté, mais conduit également à des politiques contradictoires et complique les programmes de substitution et de formation. Elle limite la capacité des organismes officiels à surveiller les infractions, à garantir l’application du salaire minimum ou à imposer les normes de sécurité professionnelle. Elle entrave également la planification de l’élargissement de la couverture de la protection sociale ou la fourniture de services adaptés aux travailleurs.
Au fil des années, des tentatives répétées ont été faites pour unifier les bases de données relatives aux travailleurs migrants, mais elles ont toutes échoué en raison de l’insistance de chaque entité à conserver ses propres données et de son refus de les partager dans un cadre national commun.
En l'absence d’un organisme unique légalement et techniquement habilité à gérer ce dossier, le désordre dans les chiffres persistera, et tout chiffre annoncé restera sujet à caution, quelle que soit la fiabilité de l’entité qui l’émet. Pourtant, la Jordanie est censée faire partie des pays avancés sur les plans technologique et administratif.
La solution réside dans la création d’une base de données nationale unifiée sur les travailleurs migrants intégrant toutes les informations, gérée, développée et régulièrement mise à jour sous la supervision d’un seul organisme responsable.
Cette base doit être la référence unique pour tous les ministères et institutions, et cela doit être encadré par une disposition législative claire et contraignante garantissant la fluidité des données et empêchant leur monopole. Faute de cela, le dossier des travailleurs migrants restera l’un des plus chaotiques, et les politiques qui en découlent continueront d’être sujettes à la remise en cause et aux dépassements.